samedi 30 août 2014

Chanson engagée et public dégagé ?



Qu'il est bon de s'indigner! La chanson francophone résume à elle seule cette particularité que l'on appelle "l'exception culturelle" à la française. Il suffit de citer n'importe quel chanteur pour qu'une conversation bon enfant dégénère en pugilat. Ainsi, certains blogs essentiels comme "Mais qu'est-ce qu'on nous chante" (http://delafenetredenhaut.blogspot.fr/) ou "Nos enchanteurs" (http://www.nosenchanteurs.eu/) font-ils la part belle aux irritations de tout bord tout comme aux enthousiasmes débridés. Leur lecture est à chaque article propice à la controverse ou à la ferveur.

Signé par Michel Kemper, érudit de la chanson, insatiable découvreur et brillant polémiste, un récent article égratignant Pascal Nègre, PDG d'Universal, et Stromaë, cité bien malgré lui par le patron de sa maison de disques, m'encourage à participer au débat. L'espace réservé aux commentaires sur ce blog me paraissant peu indiqué pour nourrir la discussion, voici la réaction que m'inspire le libelle consultable ici :
http://www.nosenchanteurs.eu/index.php/2014/08/27/si-la-chanson-engagee-cest-stromae/

Cher Michel Kemper, chers enchanteurs,

J'aime ces débats passionnés. Ils alimentent la sève dont nous nous nourrissons. 
La chanson engagée est un vaste sujet qui englobe des réalités fort différentes. Je reste persuadé que nous tous, les amoureux de la chanson, ne devrions pas fustiger ceux qui contribuent à la promouvoir, à la produire et à la faire rayonner dans le monde.

Pascal Nègre est une icone médiatique dont les interventions sont souvent interprétées avec une certaine mauvaise foi. Après tout, pourquoi pas? Toutefois, Universal cette hydre au visage terrifiant n'est pas une entité constituée d'un bloc. Ses productions, son réseau de distribution, ses contrats de licences, permettent à de très nombreux labels indépendants de survivre dans un marché sinistré.
Le sémillant François Dacla, fondateur du label EPM, pour citer cet exemple opportun, aurait eu bien du mal à diffuser pendant des années les albums d'Anne Sylvestre, de Michel Bühler, de Jean Vasca, de Julos Beaucarne, de Michèle Bernard et de tant d'autres encore si Pascal Nègre ne lui avait tendu la main quand il en avait besoin. Idem pour le défunt Max Amphoux qui put produire Lo'Jo, Clarika ou De Rien grâce au soutien de la major. Ils sont innombrables ceux qui ont pu poursuivre leur carrière avec le soutien d'Universal dans des conditions décentes malgré une présence médiatique inversement proportionnelle à leur talent : Jean Guidoni, Juliette, François Hadji-Lazzaro, Arthur H, Jeanne Cherhal, La Grande Sophie, Brigitte Fontaine, pour prendre quelques exemples dans une liste vertigineuse.

A la rentrée, Universal va publier un coffret de 240 chansons de Mouloudji, entièrement remasterisées à partir des bandes originales. Cette entreprise s'effectuera probablement à perte, comme furent réédités certains albums de Mannick, Jacques Yvart, Roger Riffard, Maurice Fanon, ou Félix Leclerc, en dépit de toute logique économique, objets devenus depuis introuvables faute de public suffisant. Ne parlons pas de ces dizaines d'artistes de jazz, de musique contemporaine, de world (dont le fabuleux label "No Format") qui contribuent à la diversité de la création francophone et de la production française qui ne pourraient voir le jour sans le succès d'un Calogéro ou d'une Nolwenn Leroy.

Le drame aujourd'hui n'est pas dans l'industrie musicale. Elle continue de jouer son rôle, Universal en tête. Mais qui diffuse ces artistes? Qui les écoute? Qui relaie leurs créations? Les derniers albums de Francesca Solleville, Jean Vasca, Gilles Vignault, Bernard Ascal, Anne Vanderlove...etc, véritables pépites de géants incontestés de la chanson, sortent dans une indifférence crasse. Pas un quotidien national ne relaie leur parution, pas une radio nationale ne joue un seul de leurs titres, pas une télé, bien entendu, ne signale leur existence. A la parution du dernier album des Ogres de Barback, le très engagé "Vous m'emmerdez", même les radios de service public ont refusé d'en diffuser le moindre titre... . Le dernier groupe alternatif pouvant s’enorgueillir d’un immense écho populaire n'est autre que Tryo dont le titre "L'hymne de nos campagnes" a été matraqué par... NRJ!!!  Dans une version en public, qui plus est…

N'oublions pas les artistes de chanson francophone, cette mine d’or dont les paillettes s’éparpillent en Belgique, en Suisse, au Québec, aux Antilles, à La Réunion, dans plusieurs pays d’Afrique ou du Moyen-Orient, auteurs et musiciens dont nous ignorons presque tout dans l’hexagone, laissant ces créateurs défendre notre langue et souvent notre culture bien mieux que nous-mêmes.

Non, mes chers amis, le problème ne vient pas de Pascal Nègre. Il défend ses artistes avec la même fougue, du plus gros vendeur à la dernière signature obscure. Le problème vient de la diffusion qui s'obstine à regarder la création francophone en se pinçant le nez sitôt qu’elle ne revêt pas le costume glamour de la pop, qui jette les albums les mains gantées comme s'ils étaient contaminés par on ne sait quelle maladie contagieuse, qui, sans vergogne, ne se souvient du talent des créateurs qu'au moment de leur disparition, charognards criminels qu'ils sont, qui se donne bonne conscience en tolérant un Philippe Meyer, une Hélène Hazéra ou un Benoît Duteurtre à l'antenne. Pour combien de temps encore ? Peut-être est-ce à nous de nous réveiller? Peut-être est-ce à nous de nous engager davantage? Nous auditeurs, spectateurs, amateurs, amoureux de la chanson dans sa diversité. Nous avons chacun créé nos propres médias via les blogs et réseaux sociaux. Nous ne pesons pas lourd face aux blockbusters lancés à coup d’achat d’espaces publicitaires. Mais la chanson s’est toujours relevée des innombrables séismes qui jalonnent sa courte histoire.

Attaquer Pascal Nègre ou Stromaë me semble non seulement injuste mais suicidaire. Défendons la création quelle qu’elle soit et ceux qui y participent. La chanson francophone demeure l’essentiel de la production hexagonale parce qu’il existe des Pascal Nègre pour y croire et des Stromaë pour éviter à l’industrie de sombrer. C’est une chance incroyable. Nos amis européens en savent quelque chose eux qui n’ont plus le choix que de chanter en anglais pour la plupart. S’exporter ou mourir. La chanson francophone est appréciée partout,  on peut citer certains de nos artistes dans chaque coin du globe. Soyons fiers de ce patrimoine en régénération permanente et poursuivons le combat. La vraie chanson engagée, c’est nous.


Laurent Balandras


dimanche 13 janvier 2013

Lettre ouverte à Mademoiselle Frigide Barjot (ou à ceux qui voudront bien y jeter un œil)



Mademoiselle Barjot (terme usité dans nos professions et qui me sied, ma foi),

J’utilise d’ordinaire les réseaux sociaux pour des raisons professionnelles. N’étant ni activiste politique, ni philosophe, ni analyste, je lutte pour ne pas rejoindre la meute qui s’estime autorisée à commenter tout et n’importe quoi et à porter des jugements sur tous et n’importe qui.

Ni sourd ni aveugle, je subis depuis quelques jours via ces mêmes réseaux des flots ininterrompus de commentaires concernant votre démarche dont le point d’orgue semble se dérouler à l’heure où je vous écris en ce dimanche 13 janvier 2013. Si on ne vous confie pas un poste de Dir’ Com’ ou la gestion d’une agence de pub, c’est à n’y rien comprendre…

Afin de clarifier ma position - puisque je décide ainsi de rompre mon vœu d’abstinence textuelle vis-à-vis des débats sociétaux sur la toile - j’apporte cette précision : je considère le couple comme un mode de vie contre nature dont je ne parviens à saisir ni le concept, ni l’intérêt. Le fait qu’une majorité d’humains considère l’enfantement comme un projet de vie, voire comme un aboutissement, me laisse totalement perplexe et m’annoncer un « heureux événement » a refroidi plus d’une de mes relations amicales. Autant dire que le mariage et la procréation sont deux sujets dont je me brosse au gant de crin (d’où probablement l’inexplicable douceur de ma peau ….) et que je me contrebranle d’imposer à qui que ce soit cette vision des choses qui m’est personnelle, l'extinction de la race humaine n'ayant pas besoin de mon soutien pour s'avérer probable d'ici quelques siècles.
Manifestement, mes amis qui twittent et qui facebookent ne partagent d’ailleurs pas mon opinion. Soit.

J’ajoute que ma date de naissance m’octroie plus de quarante années de vie sur terre, ce qui ne cesse de me surprendre, fâché que je suis avec les chiffres. Ce détail n’a en soi aucun intérêt, excepté celui d’expliquer que mon adolescence s’est déroulée au beau milieu des années 80. Mon esprit et ma libido furent donc nourris par le vent de liberté qui permit alors à Serge Gainsbourg, Mylène Farmer ou Guesh Patti d’offrir au plus grand nombre des clips torrides et provocants, aux radios FM naissantes d’explorer sans fausse pudeur les mondes infinis des sexualités de nos contemporains tout en permettant à la musique française de se renouveler par de savants métissages, de reculer les limites de l’humour grâce aux Nuls ou à Coluche, d’abreuver ma soif de connaissance par le biais de magazines aussi innovants que GLOBE, le mensuel LES INROCKUPTIBLES ou les publications délirantes du groupe JALONS dont vous fûtes l’égérie. Ces nouveaux vecteurs ont littéralement sauvé la vie au gamin introverti et dépressif qui végétait au cœur d’une campagne réactionnaire en lui ouvrant les portes d’autres mondes que le sien. En cela, je vous dois bien quelque chose et n’hésite donc pas à vous offrir gracieusement de précieuses minutes de mon temps pour vous écrire, voyez ma générosité...

 

Ces années-là furent également le symbole de libération de l’homosexualité, bien que l’apparition du SIDA donna un sévère coup de frein à main au bolide. Elles symbolisèrent également l’amitié entre les peuples, la solidarité pour les causes humanitaires et confirmèrent la domination culturelle et économique des USA.

Depuis lors, les vingt-cinq années qui se sont écoulées n’ont fait que confirmer la crainte que vous avez émise hier soir dans l’émission « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier. Oui, l’homme blanc, hétérosexuel et catholique est une espèce menacée. Oui, la société reflète aujourd’hui une étendue des minorités dont l’influence ne cesse de croître au point que l’inimaginable s’est produit : un homme de couleur à la Maison Blanche, un Maire gay à Paris, des femmes Présidentes de nombreuses Républiques, des représentants officiels de partis politiques et des ministres français d’origine maghrébines, asiatiques ou africaines, une plus grande visibilité des personnes handicapées…etc. Et alors? Quel est le problème? Si ce n'est que certains de vos camarades de trekking dominical  doivent en passer des nuits blanches à en pisser du lait !

A l’heure où nombre de personnages médiatiques redoutent ouvertement ces mutations, deux attitudes s’imposent. Les accepter ou les combattre. Vous avez choisi la seconde option au nom de la protection des enfants, si j’ai bien compris vos propos. Ah, le bel argument imparable qu’il serait suspect de vouloir remettre en cause !

Dites-moi, s’il vous plait, depuis quand la société française se préoccupe des droits des enfants car cela m’a échappé. Depuis les débuts de la Vème République, vos enfants sont élevés dans un système qui ne propose qu’une seule alternative. Se battre pour devenir le meilleur d’entre eux, si possible en écrasant la concurrence. Sans cela, point de salut. Qu’en voilà une belle protection. Nous sommes censés naître libres et égaux en droit. L’école, le statut social des parents, le niveau intellectuel de ces mêmes parents - ou plus souvent DU parent, le cadre de vie, l’entourage personnel, ces éléments et tant d’autres contribuent à l’épanouissement ou non d’un enfant. Or, l’Education Nationale continue à se voiler la face en laissant croire que chaque élève est l’égal de son voisin de classe, en n’adaptant pas les situations aux cas particuliers, en dépêchant des professeurs dont l’objectif premier s’est noyé dans la poudre de Lexomil, en n’exploitant pas les ressources individuelles pour que la moyenne corresponde à une généralité au lieu de favoriser les particularités, en oubliant que l’Histoire et l’Instruction Civique sont fondamentales à la compréhension de notre époque.

Si je continue dans vos arguments, je lis qu’un enfant s’épanouit exclusivement s’il connaît son père et sa mère biologiques. Heureusement que la réalité contrarie ce raisonnement burlesque. Vous qui êtes une femme, et à ce titre, avez eu la capacité physique d’enfanter, savez mieux que personne qu’il suffit de posséder des organes génitaux en état de fonctionnement pour procréer. Avez-vous des statistiques sur le nombre de marmots qui ignorent l’identité de leur père ou à qui l'on a menti sur ce sujet ? Et ce depuis la nuit des temps. Avez-vous des statistiques sur les humains qui connaissent leurs parents biologiques et sont, malgré cela, fébriles psychologiquement ? Parce que battus, violés, abandonnés ou tout simplement mal aimés, ce qui suffit largement.

Connaître ses parents biologiques serait une des clés du bonheur ? Allons, allons, Mademoiselle Barjot, comprenez bien qu’en agitant cette ineptie, vous faites le jeu d’individus qui privilégient l’affrontement au raisonnement et ne faites que ratifier votre pseudonyme. En appelant à lutter contre un projet de loi visant à légiférer sur des méthodes contemporaines de procréation, vous niez les progrès de la science mais ne les annulez pas. Ce combat est perdu d’avance, que l’on y soit favorable ou pas.

Catholique, dites-vous ? Dieu n’est-il pas censé avoir créé l’homme à son image ? La PMA, le clonage, les OGM, toutes ces méthodes qui cherchent à se mesurer au Créateur doivent certes être encadrées. Mais qui peut objectivement croire que les avancées scientifiques s’arrêteront là ? D’ailleurs faut-il le souhaiter ? Demain, grâce à cela, nous pourrons guérir des maladies incurables, réduire des handicaps, lutter contre la faim dans le Monde. De vrais miracles qui vous offriront l’opportunité d’ajouter quelques chapitres à cette Bible dont les histoires abracadabrantesques de procréations Divines semblent ne pas vous lisser la crinière.

En prônant vos convictions que je pense sincères, vous abreuvez les intégrismes dont la soif de haine à l’égard du prochain est aux antipodes de vos croyances. Pensez-vous sincèrement que la manifestation de ce jour est nourrie par vos thèses ? Ne croyez-vous pas sincèrement que vos positions sont une aubaine pour les milliers de nos concitoyens qui ont la faiblesse de vouloir un monde qui ne ressemble qu’à eux ? Je n'ose croire que vous approuvez les propos emplis de haine et de bêtise crasse fortement relayés ce jour par l'ensemble des médias et du coup par mes amis virtuels. L'avidité de notoriété vous pousse-t-elle dans des retranchements aussi abjects?

Dans cent ans, mille ans, dix mille ans, le monde de vos descendants ne sera plus qu’un vaste espace dont la population, identique et métissée mangera et boira la même merde "made in USA" ou "made in China" aux quatre coins du globe. Ils auront les mêmes pratiques, les mêmes divertissements, les mêmes mœurs, les mêmes croyances. Il suffit pour s’en convaincre de voyager dans le Monde pour s’apercevoir que tout s’uniformise à grand pas. Les poches de résistance ne seront plus que des villages d’Astérix dans un univers appauvri de sa diversité.

Vous ne sauverez vos enfants de cette fatalité, Mademoiselle Barjot, qu’en aiguisant leur curiosité, en encourageant leurs différences, en développant leurs particularismes. Pas en leur laissant croire que l’on doit stopper les évolutions de la société ni en servant la soupe à des dinosaures.

Je vous laisse à votre quart d'heure de gloire, Chère Mademoiselle, ayant exprimé ce que j’avais sur le cœur et n’ayant nulle envie de poursuivre un débat stérile, le mot est de circonstance. Une petite suggestion cependant : n’oubliez pas de laisser dans un coffre un peu de votre ADN. Il n’est pas interdit d’envisager que vos arrière-petits-enfants souhaiteront vous cloner pour s’assurer que vous avez vraiment existé et défendu les propos moultement relayés ces jours-ci. Vous serez au moins assurée de demeurer dans l’avenir ce que vous avez toujours été, une extravagante fantaisiste.

Bien à vous,

Laurent Balandras
Auteur, éditeur et producteur musical, activité censée adoucir les mœurs….

samedi 16 juillet 2011

Hommage à Marcel Dadi








A l'occasion du 15ème anniversaire de la disparition de Marcel Dadi, voici l'hommage que lui rend Jean-Felix Lalanne.








"15 ans....pour moi 15 mn....mon ami, mon mentor, mon inspirateur et inspirant s'en va dans un accident absurde ou le hasard des agendas a choisi que je ne sois pas avec lui ce jour là.
Aujourd'hui, plus que jamais, je sens sa présence et son exemple dans chaque projet que je monte et à chaque fois que je monte sur scène.


Il aura fait bien plus que m'ouvrir les voies de la guitare, il m'aura appris la voix de la guitare et m'aura enseigné un état d'esprit précieux: celui des gens qui choisissent de faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux, la base d'un métier dont l'intelligence de l'approche est justement de ne jamais avoir l'impression d'exercer un métier.




Comment conjuguer la liberté et la spontanéité artistique avec les obligations professionnelles si on ne garde pas une approche d'enfant?
C'était un "adulte enfant" alors que j'étais, moi un "enfant adulte" projeté dans un monde de rêve à l'aube de mon adolescence.




(photo : Jean-Felix Lalanne à 12 ans)



J'avais 15 ans quand il m'emmenait partout: sur les plateaux de télévision, les studios de gravure ou je voyais ses vinyles se graver devant moi, les rendez-vous avec des journalistes, les concerts, les émissions de radio...


Pour chacun de ces déplacements, c'est comme s'il savait déjà que cela me serait utile pour ma vie qui se préparait et qu'il voulait juste me faire gagner du temps sur les étapes de la maturité.
Il posait sans jamais imposait...Sa fierté pour mes réalisations musicales nourrissaient la fierté d'un fils face à l'admiration de son père.




(photo : Première rencontre avec Marcel Dadi à l'âge de 13 ans)





Et puis est venu l'accomplissement absolu: notre duo, l'Olympia, les tournées dans le monde entier et ces moments de fou rires qui raisonnent encore dans ma tête.




Jean-Felix Lalanne et Marcel Dadi : http://goo.gl/w8Me4



Marcel Dadi est l'inspirateur de toute une génération de gamins comme moi qui, grâce au chemin qu'il aura tracé, nous aura permis de trouver notre propre voie et beaucoup d'artistes chanteurs ou guitaristes, enfants perdus dans la jungle musicale sans arrêt grandissante des années 70, peuvent légitimement le désigner comme le seul et unique...Peter Pan

I miss you my friend...

Jean-Felix Lalanne"





vendredi 11 juin 2010

Vas-y Ginette (2) Ciao Garcin!


Ma Ginette, ça me fout les boules que tu sois morte. Pour un peu, je t'appellerai pour t'engueuler. Il y a quelques jours, quand on s'est parlés, je ne voulais pas croire que ce serait la dernière fois. J'avais compris, mais ça m'emmerdait prodigieusement cette histoire de cancer qui revient sans qu'on lui demande rien. Bien sur, tu as évoqué tes douze projets en cours et ceux auxquels il fallait s'atteler dès ta sortie de l'hôpital.


Et ce livre. Le livre de tes souvenirs sur lequel on travaillait depuis trois ans. Pas assez régulièrement d'ailleurs. Mais comment faire avec une actrice qui tourne sans cesse et enchaîne les téléfilms, les pièces de théâtre, les chansons. On a tout de même sacrément avancé et ces dimanches passés à puiser dans ta mémoire, aidés par ta soeur adorée, Jacqueline, sont devenus au fil du temps des rendez-vous attendus avec impatience. On savait qu'on allait se marrer et pleurer, parfois. "On va jamais le finir ce bouquin", pestais-tu. Ben non, on l'aura jamais fini...


C'est Caroline Loeb qui nous a présentés. Un autre projet qui n'a pas vu le jour, parmi les multiples qui trottaient dans ta tête, tu voulais refaire un spectacle de music-hall et déployer tous les talents qui étaient les tiens, chanter, danser, faire des claquettes, jouer la comédie, avec Caroline à la mise-en-scène. A 80 piges, le défi avait de la gueule. Ta série télé, la pièce de Mezrahi, celles que tu écrivais dès qu'un moment se profilait, en ont décidé autrement.
"Je n'étais pas faite pour ce pays", combien de fois me l'as-tu dit? Sur les planches depuis l'âge de six ans, danseuse aux côtés de Réda Caire à dix ans, chanteuse dans l'orchestre de Jacques Hélian a vingt ans, vedette populaire du cinéma à quarante ans, tu n'as jamais eu la reconnaissance de tes confrères. L'amour du public populaire compensait largement cette défaillance. Le métier n'a pas su entendre quand tu chantais des absurdités de Boby Lapointe ou de Jean Yanne, alors inconnues, aujourd'hui standards de la chanson fantaisiste.
Ils ont zappé les séquences d'anthologie de films essentiels comme Dupont Lajoie ou Cousin, Cousine. Ils ont oublié Le Nègre de Van Cauwelaert ou Le Passe-Muraille de Marcel Aymé, pour lequel Michaël Jackson s'était déplace pour te saluer d'un "I love you" qui t'émoustillait encore dix ans après.


Ces trois années à t'écouter, ma Ginette, m'ont réjoui au plus haut point. Je t'ai entendu cent fois me raconter la même anecdote et faire l'impasse sur des moments importants que Jacqueline se chargeait de te remémorer avec l'accent chantant de Marseille qu'elle n'a pas perdu. On a tout revu à la loupe, de ton enfance phocéenne à tes derniers jours de tournage.

Lorsque vous êtes retournées vivre à Boulogne, Jacqueline et toi, il y a quelques mois, tu m'as dit "C'est incroyable, je reviens dans l'appartement que j'occupais avec mon mari Beauvais, l'amour de ma vie, comme s'il voulait que je vienne finir mes jours là où il est mort. Je sais que ça paraît con mais il veut que je meure ici". Tu avais raison, bordel.


Il n'y a rien à regretter. Ta vie a été remplie d'expériences plus exceptionnelles les unes que les autres. Tu as tout bouffé dans l'enthousiasme, la joie, le plaisir. Tu en as profité jusqu'au bout.
Notre dernière sortie ensemble fut consacrée au show d'Olivia Ruiz au Zénith. Tu adorais cette gamine et elle te l'a bien rendu. On s'est éclatés comme des gosses.

Mais l'idée qu'il n'y aura plus de dimanches, qu'on ne pourra plus se parler, que je ne pourrais plus t'emmener voir Olivia en concert, qu'on ne regardera plus les photos en riant, qu'on n'évoquera plus Jean Marco en pleurant, franchement, je trouve ça dégueulasse.

Je te salue, Ginette, et je te remercie de m'avoir accordé la si mince quantité de temps dont tu disposais. Je suis fier d'avoir croisé ta route.

Laurent




Ginette Garcin et Jean Marco

http://pagesperso-orange.fr/jacques-helian/sommaire.htm

vendredi 28 mai 2010

Plus célèbres que le Christ....

Depuis trois semaines, les artistes sont crucifiés par plus spirituel qu'eux. Dieu dope les ventes d'albums, aidé -soulignons-le - par l'impressionnant prosélytisme de TF1. Pas moins de 200.000 fidèles se sont déjà rués sur les albums qui partent comme des hosties à l'Eucharistie. Les Prêtres plus forts que les Rolling Stones, titre le blog Ozap ce 28 mai 2010. C'est diablement sympathique! Ce sémillant boys band, de noires robes vêtu, comprend un curé, un vicaire et un séminariste, divinement castés (non, non, ce n'est point un lapsus, c'est bien écrit "castés") par Monseigneur Di Falco.

Des prêtres plus forts que les Stones, cela nous ramène quelques années en arrière, à la Sainte époque des Sixties. Une jeune dominicaine Belge, Jeanine Deckers, commit le pêché de détrôner de leur Saint Siège (à savoir le Billboard Américain) Elvis Presley et les Beatles tout à la fois, sous le pseudonyme de Soeur Sourire. Invitée du Ed Sullivan Show, en couverture de Paris Match, à l'affiche d'Hollywood sous les traits de Debbie Reynolds, la Singing Nun provoqua un tel déluge que sa congrégation en perdit son latin.


Il faut dire que le ton avait été donné dix ans plus tôt par le Père Aimé Duval, la calotte chantante cité par Georges Brassens dans le texte blasphématoire de Trompettes de la renommée (Il me laisse dire "merde"/ Je lui laisse dire "amen"). L'église était déjà pauvre... de vocations. La jeunesse de l'après-guerre ne buvait plus la Sainte Parole au calice et les radios portatives la détournait des psaumes.

Soeur Sourire leur est apparue telle la Providence. Pour les jeunes ou les amnésiques, rappelons que le refrain valait à lui seul son pesant de matza ! Dominique, nique, nique, ne contribua pas qu'un peu à populariser la rengaine. Le sous-entendu graveleux échappa complètement à la femme voilée tout comme France Gall, à peu près à la même époque, ignorait la double lecture du sucre d'orge coulant dans la gorge d'Annie, lorsqu'elle se mit en bouche Les Sucettes de Gainsbourg... Le conte de fées fit long feu. Trois années d'euphorie et trois millions de disques plus tard, Jeanine Deckers quitta le couvent pour mener seule sa carrière de star mondiale. Elle apprit vite que son nom de scène, les royautés et les droits d'auteurs qui allaient avec, demeuraient la propriété exclusive de sa Sainte Mère l'Eglise, ce que le fisc Belge feignit d'ignorer, l'acculant ainsi au désespoir (non, non, ce n'est pas un lapsus, c'est bien écrit "l'acculant". Quoique...). L'enfer sur terre, d'autant que le label Philips d'Universal continua d'exploiter en toute impunité les bénédicités sautillantes de Soeur Sourire. Elle tenta le tout pour le tout, vierge d'engagements, sous le nom de Luc Dominique, entamant le chemin de croix d'une carrière d'artiste déchue et se mit à chanter La Pilule d'or faisant écho aux Elucubrations d'Antoine. Point de miracle, elle ne ressuscita pas sa gloire défunte et mit fin à ses jours en compagnie de sa bien aimée, après un ultime Dominique, nique, nique remix disco sous la bénédiction de Gilles Verlant (parait-il).




Un film poignant a été réalisé par Stijn Coninx, grâce à la volonté farouche de son interprète principale, Cécile de France. L'actrice, fascinée par la part d'ombre de la religieuse redonne vie au personnage de Jeanine Deckers, dans toute sa complexité, bien loin de l'image cucul-la-praline de Debbie Reynolds. Cécile de France mit plusieurs années pour trouver des producteurs capables de défendre l'histoire d'une exaltée, mal à l'aise dans son époque. Ses rapports destructeurs avec sa mère, puis avec sa supérieure au couvent, avec les médias enfin pour lesquels elle écrivit la chanson Luc Dominique (Elle est morte Soeur Sourire (...) Messieurs les journalistes/ Et Messieurs les disquaires / Sans doute feront critique / Comprendront de travers), sont décrits avec justesse et pudeur.




Alors a-t-on prévenu Les Prêtres , ces dieux du Top, de l'existence de Soeur Sourire? Eux qui chantent l'Abbé Brel et le Frère Cabrel, vont-ils finir leur tournée sniffant de la poudre d'hostie, bourrés au vin de messe en s'enfonçant des crucifix dans l'agnus dei, with God on their side? Ou bien, comme cela est plausible, recyclés par Endemol dans un loft oeucuménique où les représentants de chaque religion seront soumis à la tentation par de petits pervers en culottes courtes, échappés du confessionnal? Avec pour générique Dominique, nique, nique remixé par David Guetta?

Sous couvert du voeu de pauvreté, voilà qui va encore gonfler les bourses du Vatican...et celles d'Universal. Amen!


mercredi 5 mai 2010

Ginsburg et Gainsbourg

Certains livres sont essentiels. La bibliographie Gainsbourienne génère chaque année maints ouvrages. Peu d'entre eux méritent le dédain. Succéder aux fouilles archéologiques du biographe Gilles Verlant relève pourtant de la prouesse, tant le passionné s'est évertué à imbriquer les pièces du puzzle, rencontrant pléthore de témoins, toutes époques confondues, exhumant la correspondance du père, le pianiste Joseph Ginsburg, retrouvant jusqu'au moindre dessin, conservé comme un lépidoptériste protégerait une aile de papillon, vestige d'une espèce éteinte. Pour ceux qui l'ignorent encore, avant d'être Serge Gainsbourg, auteur, compositeur et interprète majeur officiant pour un art mineur, il était un Lucien Ginsburg, peintre d'avenir.

Chaque interlocuteur de Gilles Verlant aurait pu, à lui ou elle seul(e), noircir plusieurs chapitre de son volumineux ouvrage. C'eût été imbitable. Il est en revanche un témoignage que les transis de Gainsbourg attendaient depuis longtemps. Depuis le 17 mars 1993 exactement, soit deux ans à peine après la disparition du génie de la chanson. Georges-Marc Bénamou dirigeait alors un nouveau magazine, Globe hebdo, vite devenu indispensable pour les avides de contre-culture à la veille de la cohabitation François Mitterrand-Edouard Balladur.

Ce 17 mars, un journaliste de Globe retrouve Lise Levitzky, première épouse et muse de Lulu Ginsburg. Lui confiant quelques archives miraculeusement épargnées (Gainsbourg détruira la plupart de ses dessins, tableaux et oeuvres d'art), ladite Lise promet de livrer l'essentiel de ses souvenirs dans un livre cosigné par le journaliste en question. On la voit en photo. Joufflue comme un beignet, les traits fins et gracieux, une crinière poivre et sel mal domptée, une peau que l'on devine lisse et poudrée, certainement douce, une bouche charnue qui appelle le baiser, des doigts longs et potelés dans lesquels un mégot volute à pleins poumons. Elle n'est pas conforme aux égéries répertoriées du grand Gainsbourg, ça non. Ni BB ni Birkin, moins encore Bambou. Mais on l'imagine aisément, au début des années 50. Il suffit d'éplucher les couches de chair comme on éplucherait un fruit et Lise Ginsburg, modèle pour les couturiers, apparaît sous les traits de cette sympathique mamie joufflue, le regard mutin comme celui d'une adolescente. Le journal suit quelques temps cette aventurière, alors militante chez les Verts.

Puis, plus rien.

Contactée par les éditions Textuel en 2005 afin d'obtenir son accord pour reproduire un dessin d'elle par son premier mari, à l'occasion de la préparation du coffret "Les manuscrits de Serge Gainsbourg" que j'eus l'honneur de réunir, Lise Lévitzky sembla méfiante. On lui avait volé tant de reliques si intimes. Et puis, elle ne voulait pas trop parler, elle préparait toujours son livre, ce livre tant espéré dont personne ne savait quel imprimeur aurait la chance d'en relier les pages, ni si nous en verrions un jour la moindre jaquette. Que lui voulions-nous au juste? Pas grand chose. Rien d'autre qu'un accord de reproduction d'un dessin inquiétant, où la beauté de ses vingt ans traversait le papier, le peintre Ginsburg ayant choisi d'enliser ses pieds dans du béton, de masquer son regard et de mettre en cage cette femme trop libre à laquelle il demeurera enlacé toute sa vie durant. Les dessins de Gainsbourg sont rarissimes. Celui-ci si évocateur. Comment aurions pu nous en passer tant il révèle la difficulté du créateur face aux femmes moins figées qu'un modèle? Lise accepta.


Il y a quelques semaines, le journaliste Bertrand Dicale annonçait la publication de "Lise et Lulu". Eminente plume responsable des meilleures chroniques de groupes alternatifs ébahis de se lire si beaux dans une presse qu'ils ne fréquentaient que sous la menace, Dicale a accompli une précieuse biographie de Juliette Gréco après des années au service du journal Le Figaro. L'homme maîtrise son vocabulaire, chaque phrase évoque une image, précise. Il n'écrit pas, il raconte, il décrit, il fait sentir et ressentir. Qui d'autre pouvait mieux aider Lise Levitzky à trier le capharnaüm de ses souvenirs? L'accompagner pour livrer les crimes dont elle fut tour à tour témoin et victime, entre horreurs de la guerre et viols incestueux? Avant Lulu, Lise a subi sa vie, sans trop savoir qu'on pouvait la choisir. Avant Lulu, Lise était un fardeau qu'on posait là où ça dérangeait le moins. Dans les yeux de Gainsbourg, elle va révéler une impétuosité qui séduira puis blessera le jeune artiste. L'histoire de Lise recèle bien des clés pour qui comprend le travail de Gainsbourg comme une oeuvre à tiroirs.


Dans son blog, Caroline Loeb a décrypté l'origine du roman-photo érotique "Bambou et les poupées" après avoir lu "Lise et Lulu". Ayant participé à l'élaboration de cet ouvrage du Gainsbourg photographe, Caroline sait aussi par coeur le travail d'Hans Bellmer et racommode les mailles du patchwork en digne petite-fille de son grand-père, évoqué dans ces colonnes, le galeriste Pierre Loeb dont on découvre avec stupeur qu'il fut le seul à déceler en Gainsbourg les talents d'un véritable peintre. Jusqu'alors, hormis le livre de Franck Maubert "Gainsbourg, voyeur de première", les propos relatifs à la peinture de Gainsbourg laissaient entendre qu'il aurait abandonné cet art par manque de talent. Pierre Loeb fut l'un des plus grands marchands d'art de son époque. Il exposa Pascin dès 1924, Joan Miró dès 1925, les surréalistes firent leurs premières armes dans l'art plastique au sein de sa galerie la même année, il soutint Dufy, Braque, Chagall, Balthus ou Giacometti, fut l'ami de Picasso et d'Antonin Artaud... Poète plutôt que vendeur, Pierre Loeb ne peut être soupçonné d'imposture. Lorsqu'il commande 40 toiles à Gainsbourg vers 1950, Lise et Lulu sont dépourvus de réseaux d'influence qu'auraient probablement méprisés le galeriste. Et l'on ne peut s'empêcher de songer que si Gainsbourg avait donné suite à la commande de Pierre Loeb, il n'aurait pas ressenti le besoin d'écrire des chansons. La peinture lui coûtait, dans tous les sens du terme, la chansonnette lui rapportait. Le choix fut ainsi fait. Lise le déplore. Pas nous.


En cela et beaucoup d'autres choses encore, "Lise et Lulu" est un livre indispensable.


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samedi 14 février 2009

LES ANNEES NONANTE

Il n'y aura pas de journaux pour relater la disparition de Laura Couderc. C'est injuste. Partout où elle s'est posée, Laura a embelli les vies quotidiennes de centaines de personnes qui ne le sauront peut-être jamais. Des Lilliputiens dans les rues d'Ixelles, des installations dans le Centrum de Bruxelles, des flips books pour l'amour de l'art contemporain... A Valence, Villefranche-sur-Saône, Paris ou Bruxelles, Laura a enchanté tout un chacun, rêvant et réalisant des projets insensés, qu'elle seule visualisait. Nous mêmes, ses proches, restions parfois dubitatifs face à ses projections sur des toiles en mouvement, ses descriptions de réalisations à venir trop conceptuelles pour nos cerveaux étriqués.

Heureusement, certaines créations de Laura Couderc demeurent. Qu'il s'agisse des décors magiques filmés par Abel et Gordon dans L'iceberg (DVD, Mk2), Rumba ou du site Labelenchanteur qu'elle a entièrement conçu et qui me doit régulièrement des élans admiratifs et amusés.



Il n'y aura pas de journaux qui narreront son histoire, ses histoires, tour à tour et tout à la fois chanteuse à la voix rocailleuse derrière Jean-Michel Taliercio à l'époque insouciante de l'E.M.P.P., dans le sillage du crooner Enzo Piccinato ou auprès de son amie Cloé du Trèfle, mais aussi photographe, artiste plasticienne, dessinatrice... Tiens, d'ailleurs il me faudrait retrouver ce livre que nous avions conçu ensemble, édité à deux exemplaires, non par snobisme mais par jeu, Story of a princess. Comme tous nos projets débiles, celui-ci naquit de soirées où nous refaisions le monde, à Paris, souvent avec Cécile Montmasson. Nous étions persuadés que le talent de Laura éclaterait un jour. D'ailleurs, l'été dernier, les demandes de collaboration affluaient rue Hottat, dans cet appartement lumineux où Frédéric Jadoul, son compagnon, lui rendait la vie plus agréable.



Aucun journaliste ne dira non plus cette histoire cocasse. Nous rendions alors visite à Renaud, au studio ICP. Le chanteur donnait l'impression de ne plus tenir à la vie, peinant à écrire, persuadé de ne plus pouvoir chanter. A ses côtés, les fidèles Bucolo, Lanty et Langolf usaient de mille stratagèmes pour tenir leur ami. En sortant, Laura me dit "Le mec au cheveux longs m'a fait un plan drague assez relou en me disant que j'avais une super voix et me demandant si je ne voulais pas chanter. Je l'ai envoyé promener". Sans savoir qui il était, Laura venait de moucher Franck Langolf, l'un des compositeurs les plus en vue, d'un talent monstre qui, certainement, ne draguait pas ma Rirette mais avait repéré cette voix grave et rapeuse, unique, qui aurait pu conduire Laura à chanter davantage qu'elle ne le fit. Mais Laura n'a jamais voulu se mettre en avant. D'ailleurs, il existe trop peu de photos d'elle et si jamais une ou deux circulaient, elles les trouvaient ratées et moches.



Renaud renaquit de ses cendres, Langolf et Laura sont partis. Les signes extérieurs sont curieusement peu fiables. C'était la fin de nos années nonante. Moi à Paris, ma Rirette à Bruxelles, cet incongru Royaume qu'elle m'a permis d'apprivoiser, m'autorisant le luxe de devenir une sorte de Belge d'adoption. Aujourd'hui, tous les amis de Laura Couderc, Enzo, Tom, Gina, Jeff, Jean-Mi, Cathy, Béa, Naphta, Gérard, Cécile et tant d'autres, allons porter en nous la joie d'avoir connu ce petit bout de femme au caractère trempé. On va se remémorrer nos soirées interminables, colorées par les nuages de fumées et le vin qui brunit les lèvres. Pour toujours et à jamais, il ne me sera plus possible de regarder un viewmaster, un pain de viande, un flip book, une brole du marché aux puces, un tourne disque en plastique des années septante, un album de Matthieu Bogaerts, Marc Minelli ou Daniel Darc, un cendrier en forme de coquillage ni un Barbapapa sans penser à Laura. D'autres détails reviendront surement et ça appaise la douleur de savoir qu'on garde en nous une petite part de Laura Couderc. Cela compensera un peu l'article de journal.