mercredi 19 décembre 2007

ATMOSPHERE, davantage qu'une gueule





Une fois n'étant pas coutume, ce lieu devient temporairement le théâtre d'une jouissive autopromotion. Est ainsi évoqué le coffret de 5 CDs intitulé immodestement "ATMOSPHERE, 100 chefs-d'oeuvre de la chanson" publié voici peu par le label Discograph, ordinairement spécialisé dans la découverte de jeunes talents pointus.

Comme quoi on peut aimer Brisa Roché, Olivier Libeaux ou Giovanni Mirabassi et trouver du charme aux rengaines que nos grands-parents fredonnaient gaiement quand nous attendions la visite du Père Noël en y croyant encore...

Loin de présenter l'exhaustivité de la production phonographique antérieure aux années 60, cette sélection de titres est rendue possible par une loi qui stipule qu'un enregistrement sonore se voit décerné le statut de "domaine public" dès 50 années d'exploitation révolues. Ainsi, il est aujourd'hui envisageable de commercialiser les premières oeuvres de Mistinguett ou Dalida, de Yves Montand ou Dario Moreno, sans avoir besoin d'en négocier les droits auprès du producteur original, tout comme n'importe quel éditeur peut publier à son aise Molière, Balzac ou Zola. Cet état de fait est violemment combattu par l'industrie du disque qui se trouve contrainte à devoir partager ses trésors. Le débat fait rage et chacun voit midi à sa porte. L'industrie souhaite prolonger les droits sur ses enregistrements. Cela peut, à première vue, répondre à une logique. Pourtant, il faut reconnaître les lacunes d'une confrérie qui néglige, sciemment ou pas, tout un pan de son histoire. On compte effectivement par milliers les oeuvres enregistrées que les producteurs, par souci de rentabilité immédiate, se refusent à rééditer. Pour une centaine de compilations d'Edith Piaf réalisées depuis sa mort, combien de disques de Lina Tosti, cette corse joviale, spécialisée dans le répertoire de Tino Rossi? Ne vous épuisez pas à chercher, il n'en existe pas! Si de passionnés amateurs n'avaient exhumé leurs collections de 78 tours, il n'existerait pas non plus de CD consacrés à Andrée Turcy, fantaisiste marseillaise hors pair, ni de Zappy Max, dont la voix enthousiasma longtemps les auditeurs du jeu radiophonique "Le quitte ou double", pas plus que de Henri Genès qui fit la joie des spectateurs du cabaret dans les années 50... Citons encore, puisqu'on les retrouvent dans les différents volumes de ce coffret, les duettistes Charpini et Brancato, l'averti et l'inverti, qui puisèrent dans le répertoire lyrique les instants légers, graciles, tout en provoquant, quand il le fallait, la grave émotion. N'ignorons pas Nitta-Jo au registre iconoclaste, tout aussi vibrante que Damia et Fréhel réunies, même si Berthe Sylva la supplanta nettement en popularité.

L'occasion est trop belle de se remémorer l'éclatant swing de Ginette Garcin lorsqu'elle chantait au sein de l'orchestre de Jacques Hélian, aux côtés du crooner Jean Marco; la grâce des Soeurs Etienne, fameuses dans leurs adaptations du répertoire Latino: la bonhomie de Fernand Sardou que de rares disques de cire conservent encore; la perfection de Lys Gauty ou de Germaine Montero, ces femmes qui imposèrent de grands auteurs auprès d'un public avide; la sublime voix d'Eliane Embrun; l'accent troublant de Raquel Meller...etc.

Tous ces chefs-d'oeuvre dormiraient outrageusement au fond des caves et des greniers sans cette fameuse loi sur le domaine public, et l'histoire du music-hall se résumerait aux artistes ayant vendu le plus de disques à une époque où la scène, la radio et la vente de partitons comptaient bien davantage que les chiffres d'une industrie qui, déjà, semble appartenir à une page d'histoire, faute, peut-être, d'avoir négligé la sienne...?

mercredi 14 novembre 2007

MADONNA, de MARILYN à MARLENE

C'est en 1930 que Marlene Dietrich tourne son premier film made in Hollywood, Morocco, sous la direction de Joseph Von Sternberg. Réclamés par la mecque du cinéma, ce duo allemand surfe sur le succès mondial du film L'ange Bleu (Der Blaue Engel) sorti quelques mois plus tôt. Dietrich se sent bousculée par les méthodes des studios, inquiète de ce que les producteurs attendent d'elle. L'actrice n'a qu'une envie, repartir pour Berlin retrouver sa fille et son mari. Von Sternberg l'implore de ne pas rompre son contrat, supplique providentielle : trois ans après, Hitler est chancellier. La star allemande Emil Jannings, partenaire de Dietrich dans L'Ange Bleu, sombrera à la hauteur du soutien qu'il apportera au régime nazi. Pendant ce temps, Marlene devenue citoyenne américaine, ira chanter en Angleterre, en France, pour les GI's mobilisés.

Von Sternberg dirigera 5 autres films avec Dietrich, remplissant ainsi la mission confiée par les studios Paramount : concurrencer la Divine, Greta Garbo, l'icône de la Metro Goldwyn Mayer.


Il aura suffit d'une seule séquence de Morocco, d'une durée inférieure à 2 minutes, pour que Marlene Dietrich crée son propre mythe. Vêtue d'un smoking, arborant le chapeau haut-de-forme, elle chante la romance écrite en 1900 par le français Henri Crémieux, Quand l'amour meurt, vole un baiser à une spectactrice mi-consentante, mi-offusquée, et jette une fleur au superbe légionnaire incarné par Gary Cooper! Hollywood, sise dans la prude Amérique, sait se jouer des conventions dès qu'il s'agit de fabriquer du mythe.

Soixante trois ans plus tard, Madonna, affublée d'un costume identique, mêlera habilement son tube Like a Virgin aux accents lancinants de Falling in love again, l'adaptation américaine de Ich bin von kopf bis fuss auf liebe eingestelt, chanson du film L'ange Bleu composée par le talentueux Friederich Hollaender. La chanteuse Italo-américaine connaît ses classiques et use de références qui la placent au rang des plus grandes stars du XXième siècle. Après sa première période post-punk, Madonna s'inspirait en effet, pour le clip de sa chanson Material Girl tourné en 1984, d'une scène du film Les hommes préfèrent les blondesMarilyn Monroe chantait Diamonds are the girl's best friends. Lorsqu'elle reprend l'image de Dietrich dans Morocco en 1993, Madonna rend hommage à Marlene disparue peu de temps auparavant. Elle patiente encore 10 ans, à l'occasion de la cérémonie des MTV Awards de 2003, pour provoquer en direct l'émoi (ou l'emoustillement) des télespectateurs, embrassant goulument les bouches de Britney Spears et de Christina Aguilera, autre clin d'oeil à Morocco.





dimanche 28 octobre 2007

LES ENTUBES

"Pendant ces trois minutes trente de bonheur, le public, dans une bulle, se met en mode play-back, comme les chanteurs. On aurait dit que le tube avait sa vie propre, qui embarquait soudain tout le monde."
(Caroline Loeb, Has-Been, Flammarion, 2006)

Avant Henri Garat, il n'était pas vraiment question d'industrie phonographique. Bien sûr, les vedettes populaires brillaient de mille feux et un petit tour dans n'importe quelle phonothèque confirme les nombreux enregistrements effectués par Mayol, Mistinguett, Maurice Chevalier, Dranem ou Théodore Botrel. Mais acquérir un gramophone représentait un sérieux investissement, demeurant l'apanage des familles aisées. La population ouvrière disposait au mieux des partitions éditées en Petit Format sur lesquelles figurait la photographie du chanteur. Au pire, elle se rendait aux spectacles d'artistes locaux singeant les interprètes originaux. Ce n'est que dans les années 1930 qu'il se produisit un épiphénomène. Un ancien boy de Mistinguett devenu star du cinéma chantant se mit à vendre près de mille disques 78 tours par jour. Son nom? Henri Garat. Ses tubes? Tout d'abord Avoir un bon copain créé en 1931 dans le film Le chemin du Paradis, puis Amusez-vous écrit par Sacha Guitry et composé par Albert Willemetz (pour l'opérette Florestan Ier, prince de Monaco) en 1934, et surtout Un mauvais garçon tiré du film du même nom réalisé par Jean Boyer en 1936. La photo du playboy fit grimper les ventes des magazines de cinéma, ses apparitions provoquèrent des émeutes et sa vie mondaine nourrissait les potins de la Haute-Société. Ses films étant principalement tournés en Allemagne et produits par la UFA, la seconde guerre mondiale vint enrayer un processus qui semblait bien huilé. De mauvais investissements, la drogue, et des mariages impulsifs soldés par de ruineux divorces eurent bien vite raison de son inestimable fortune. Son public sera raflé par Tino Rossi durant l'Occupation et son retour après la Libération ne provoquera pas le moindre émoi. Henri Garat terminera sa carrière dans les années 50, en interprétant ses tubes au sein d'un spectacle de cirque dont il sera l'anonyme attraction, son nom ne figurant même pas sur les affiches. Il mourra dans un complet anonymat en 1959.

Plus veinard, le comique-troupier Gaston Ouvrard connût un regain d'intérêt inespéré lorsque Jean Yanne reprit son tube J'ai la rate qui s'dilate (en fait la chanson s'intitule Je n'suis pas bien portant) en 1961 dans une version twistée. Jean-Christophe Averty, ce génial cinglé du music-hall, intègrera Ouvrard au générique de plusieurs épisodes de son émission Les Raisins Verts, dont l'avant-gardisme provoquait de vives polémiques à cette époque où les Français n'avaient pas le choix entre plusieurs chaînes de télévision. C'est toujours vêtu de son costume de troufion que le septuagénaire débitera sans la moindre hésitation la chanson qu'il écrivit avec Vincent Scotto en 1932, aux côtés de Marcel Amont, chez Guy Lux en 1965, ou avec Claude François dans un show télé de 1968. Il décèdera en 1981 avec la satisfaction d'avoir interprété son titre fétiche pendant près d'un demi-siècle.

Arrêtons nous enfin sur Pierre Perrin que les dictionnaires de la chanson ont résumé comme "le chauffeur de taxi qui chante". Cet ancien artiste de music-hall connut une très mauvaise passe lorsque le twist et le rock'n roll rendirent désuets les spectacles traditionnels. Fini le temps des Revues à gros budget, les multiples attractions avant la projection d'un film où les numéros de cabaret qui s'étiraient sur un après-midi entier. La radio et le Teppaz imposaient chaque jour un nouveau nom et une nouvelle danse. Reconverti en chauffeur de taxi, Pierre Perrin fredonnait les mélodies qui lui passaient par la tête lorsqu'un producteur de disques, embarqué dans son véhicule, s'intéressa à l'air que venait de chantonner le conducteur. Aussi improbable que cela puisse paraître, c'est ainsi que le tango surréaliste Un clair de lune à Maubeuge se fit une place en 1962 entre le Mashed Potatoes et le Hully-Gully des yéyés. Le titre fut repris dans la foulée par Annie Cordy, Bourvil, et même Claude François (en twist, of course!). On réalisa un film sur l'incroyable aventure de Pierre Perrin qui joua son propre rôle aux côtés de Sylvie Vartan, Michel Serrault, Jean Carmet, Bernadette Lafont et Henri Salvador (Un clair de lune à Maubeuge de Jean Charasse, 1962). Las, si Perrin enregistra d'autres 45 tours, le succès l'abandonna avec une violence équivalente au tourbillon qu'il avait provoqué. A tel point que l'artiste en développa une forme de dépression, refusant de n'être plus qu'un vinyle rayé. Il écrivit, se débattit, implora, soutint que son arc disposait de nombreuses autres cordes, sa destinée demeura sourde à ce tapage et Pierre Perrin, complètement rangé des voitures, s'est éteint en 1985, son Clair de Lune ne l'illuminant plus depuis longtemps.
Gaston Ouvrard et Claude François "J'ai la rate qui s'dilate"

vendredi 26 octobre 2007

STRANGE FRUIT, un document historique

Un fruit étrange est accroché aux arbres du Sud des Etats-Unis,
Du sang se répand des feuilles jusqu'aux racines,
La brise du Sud fait balancer le corps d'un homme noir,
Étrange fruit suspendu aux branches des peupliers
(adaptation du premier couplet de Strange Fruit de Lewis Allen, 1939)


Doit-on croire Barney Josephson, le propriétaire du Café Society, lorsqu'il affirme, en 1983, que Billie Holiday ne comprit pas un mot de la chanson Strange Fruit quand il lui suggéra de l'interpréter dans son club au début de l'année 1939*? Le lieu est l'un des rares où Noirs et Blancs se côtoient pour apprécier ensemble le bluesman protestataire Josh White, le saxophoniste Lester Young ou le chanteur Paul Robeson (qui va constituer peu après un comité de lutte contre le lynchage). Billie Holiday est l'une des attractions phares de cet endroit fréquenté par les gauchistes New Yorkais. Aux yeux de ce public, la chanteuse vient d'acquérir ses lettres de noblesses en annulant une tournée avec l'orchestre Blanc d'Artie Shaw (fait déjà notoire pour l'époque) en raison du racisme des Etats du Sud. On l'empêche de loger dans les hôtels des villes où elle doit chanter, et on lui interdit même parfois d'entrer dans les clubs où elle est censée se produire. Le fait est si répandu que Billie Holiday s'en retourne à New York sans que ces incidents n'aient soulevés la moindre polémique.

Abel Meeropol, alias Lewis Allen, sait-il les humiliations que vient de subir l'artiste quand il débarque au Café Society pour demander à Josephson que Billie chante sa chanson? Rien n'est moins sûr tant les médias ne relaient pas ce genre d'information. Billie Holiday est alors l'une des chanteuses de jazz en vogue. Lester Young l'a déjà surnommée Lady Day et elle lui a rendu la politesse, attribuant à son amant celui de Prez (pour Président). Toutefois, Billie n'est pas encore la légende que Strange Fruit va contribuer à élaborer. Depuis 6 ans, elle chante pour la compagnie de disques Columbia. Le répertoire est assez fleur bleue, What a little moonlight can do?, A Fine Romance, Say it with a kiss, These foolish things, et les pages les plus sombres s'intitulent Summertime, Billie's blues ou My Man, une adaptation de la chanson créée par Mistinguett, ce qui rendra cette dernière folle de rage quand on lui interdira de l'interpréter aux USA pour la bonne raison que son éditeur en avait vendu les droits aux Américains. Billie Holiday chante donc des chansons sans l'envergure ni le timbre que l'alcool, le tabac et la drogue viendront sculpter au point de le rendre unique.

Pour faire plaisir à Josephson, Billie va, en cette soirée de Janvier 1939, interpréter pour la première fois l'histoire de ses frères noirs qui, dans le Sud, continuent d'être lynchés par les Kriminels Kagoulés du Klan. Peut-elle vraiment ne pas saisir le sens des mots? Est-ce envisageable qu'elle ne perçoive rien du lourd silence qui plombe l'ambiance d'ordinaire survoltée du Café Society après sa prestation? Cette légende tenace est peu probable, tout comme les mémoires de Lady Day qui affirmera sans vergogne avoir écrit la chanson lorsqu'il faudra qu'elle réinvente sa vie. On pardonne tout à quelqu'un qui a porté son art si haut tout en dégringolant si bas. Aujourd'hui, Billie Holiday est statufiée parmi les légendes du XXème siècle. Sa vie véritable a été décortiquée par d'innombrables biographes. Et Strange Fruit est de ces chansons comme il en existe peu. Les mentors de la firme Columbia se lamentent depuis 70 ans du manque de courage de leurs prédécesseurs qui refusèrent d'enregistrer ce titre et laissèrent au petit label Commodore le soin de graver ce document historique. L'immense producteur de jazz Norman Granz ne commettra pas pareille bévue et le label Verve peut encore rééditer les différentes versions que Billie Holiday a réenregistrées par la suite. Il ne fait aucun doute que lors des sessions réalisées, l'artiste devenue plus fébrile, plus écorchée, maîtrise parfaitement ce texte dont elle saisit chaque nuance.

Parmi les innombrables artistes qui reprirent cette hymne antiraciste à leur répertoire, peu nombreux parvinrent à lui donner une nouvelle dimension. Eartha Kitt et Nina Simone, deux divinités sur lesquelles il faudra revenir bientôt, ont tatoué cette oeuvre avec leur âme. Tout récemment, le groupe français AaRon a réussi l'exploit de divulguer ce titre poignant auprès d'un public majoritairement blanc, branchouille et francophone. A vous d'apprécier.
* cité dans Strange Fruit de David Margolick, éditions 10-18, 2001








mardi 23 octobre 2007

BERTRAND BELIN, l'ange volage


Il est urgent d'aimer Bertrand Belin.
Son visage d'ange volage ne plaide pourtant pas en sa faveur. Dans le domaine de la variété, les français cèdent parfois à la blondeur sauvage d'un Johnny Hallyday où aux pâleurs brunes d'un Patrick Bruel. Certes. Mais lorsque l'on évoque les artistes majeurs du XXième siècle chantant, force est de constater que chacun déploie une imagination farouche pour se fabriquer une gueule. Rassemblez au générique d'un même film Aznavour, Trenet, Brassens, Gainsbourg, Brel, Barbara et Piaf, vous obtiendrez là un parfait casting de seconds rôles à même de ravir Howard Hawks, Billy Wilder et Elia Kazan réunis.

Par bonheur, le nez de Bertrand Belin dessine, selon l'angle d'où on l'observe, une courbe légèrement sinueuse, aussi subtile que son écriture, aussi sensuelle que le frôlement si particulier de ses doigts sur les cordes de sa guitare. Le nez de Bertrand Belin est donc le laisser-passer indispensable pour lui permettre de côtoyer les géants de la chanson française.

Pour le reste, il n'est besoin que de lire (ou plutôt de dire dans un murmure) quelques phrases piochées de ci-de là dans ce qui constitue déjà une oeuvre, en deux albums à peine :

Les tempêtes ont laissé sur le chemin d'ici des troncs entiers de honte (T'as l'vin t'as pas l'vin)

Au sein de quelle clique a-t-elle mis les voiles
Au dos de quel orque
Vous a-t-on parlé à mon grand dam
De frêles esquifs et de rocs (La longue danseuse)

Ma chère tante Madeleine
Tes bigoudis, c'est des fleurs de printemps, bouées d'hortensias
Clochettes des champs
Un bouquet de jeunes impatients (Madeleine)

Fait-il si beau là-bas où vous êtes à présent
A regarder vos mains sans les reconnaître
A mettre dans ma voix rien de plus que ma voix (La perdue)

Que Belin évoque la maladie d'Alzeihmer, un couple à la dérive, la beauté ardente des cités de la péninsule ibérique ou des personnages de son quotidien, ses textes coulent comme cette liqueur de Porto dont il nous régale dans son premier album. Oniriques, les chansons de Bertrand Belin sont des plats raffinés pour gourmets.

Il n'existe, hélas, aucune vidéo digne de ce nom pour allécher qui ne sait rien de ce chanteur circonflexe. L'extrait de concert filmé ci-dessous n'est qu'un amuse-bouche. Et puisque le visage de Bertrand Belin en est l'écrin, soulignons son incroyable ressemblance avec un autre esthète qui vécut près d'un siècle auparavent, Earl Leslie.

Evidemment, personne ne connaît Earl Leslie. Pas même ceux qui l'ont approché. Né au début du XXième siècle aux Etats-Unis, il fut repéré en 1921 dans un musical à Londres par Mistinguett qui savait orner sa presque cinquantaine aussi bien de plumes et d'aigrettes que de jeunes partenaires dont elle faisait double usage, à la scène comme à la ville. Parmi les fort nombreux danseurs de la Miss, Earl Leslie demeure le moins célèbre bien qu'il fut le plus impliqué dans l'histoire du Music-Hall des années folles. Outre son talent physique incontestable qui lui valut de figurer très rapidement en couverture des partitions de La Java - (oui, un mythe s'effondre, le parfait Titi Parisien est amerloque!) - il devint rapidement ce que les anglo-saxons appellent producer des grandes revues de sa chère et tendre. Earl Leslie fut donc l'un des concepteurs de ces spectacles qui virent trompher Mistinguett, réglant les chorégraphies, veillant à la valeur de chaque numéro tout en n'omettant pas de mettre en avant sa partenaire lorsqu'ils partageaient la scène du Moulin-Rouge. Devenu plus français que les français, Earl Leslie rendit tant d'hommages au pastis et au vin rouge qu'il y noya sa carrière et fit fondre sa place de favori au milieu des glaçons. Avant de repartir pour les USA, il eût le bon goût de produire Joséphine Baker dans la revue où elle créa son hymne, J'ai deux amours. Puis, Leslie s'éprit d'une Carmen et l'oiseau rebelle s'en fut sans ne plus donner signe de vie. Demeurent quelques photos et films amateurs où apparaît cette silouhette qui ressemble à s'y méprendre à Bertrand Belin dont il était question avant cette digression.
Il est urgent d'aimer Bertrand Belin, des fois qu'une Carmencita ne nous l'emporte au fil du Tage voguer vers les Amériques...

samedi 20 octobre 2007

MAURICE WHO?

"Au fond, je n'étais pas fait pour être artiste. (...) Quelle étoile extraordinairement bienveillante m'a permis de chanter, sans voix, pendant près d'un demi-siècle, en obtenant d'abord, en conservant ensuite, l'intérêt de ceux que j'ai appris à juger come le public le plus versatile et le plus nerveux du monde entier? Le public français!"



L'homme de 58 ans qui écrit ces mots au lendemain de la seconde guerre mondiale n'est autre que le plus populaire de nos chanteurs, Maurice Chevalier. Le môme de Ménilmontant a débuté sur les planches au moment ou naissait un XXième siècle qui, en guise de reconnaissance, le gratifiera d'une renommée mondiale. S'il rédige ses mémoires*, c'est en premier lieu pour tenter de dissiper les brumes des procès intentés à son encontre après la Libération. Non, hélas, Chevalier ne fut pas un héros. Faut-il prétendre qu'il fut un salaud? Il fut complaisant. Comme la plupart des artistes non juifs qui poursuivirent leur carrière sous l'Occupation; comme la plupart des Français dont il était, finalement, un parfait représentant. Oui Chevalier a chanté sur les ondes de Radio-Paris, ce qui n'échappa pas à Pierre Dac. L'animateur caustique de Radio Londres parodia plus que de raison l'homme au Canotier avant de se porter à son secours quand le chanteur fut traduit devant les tribunaux de la Libération.


Contraint toutefois au silence pendant quelques temps, Chevalier mit à profit cet isolement pour rappeler à son public l'incroyable histoire qui les liait depuis 1901. Depuis l'époque heureuse de la chanson qu'on appelait Café-Concert ou Caf'Conç'. Depuis les Mayol, Fragson, Polin ou Dranem, que le petit Chevalier prit pour modèle. Dans ces fameux mémoires, il ne cesse de s'étonner, contraint d'admettre l'incroyable destinée de ce gosse de rien devenu en 1930 l'une des stars d'Hollywood les mieux payées, Roi du Top Ten, respecté par Charlie Chaplin, Douglas Fairbanks et Les Marx Brothers. Plonger dans les mémoires de Maurice Chevalier c'est s'immerger dans l'Océan de l'Histoire du Music-Hall. L'on y suit le quotidien des chanteurs de Caf'Conç' des années 1900, l'on assiste aux revues fastueuses du Moulin-Rouge et du Casino de Paris aux côtés de Mistinguett, l'on s'imisce sur les plateaux d'un cinéma encore muet, l'on vibre aux Opérettes qui firent la réputation des Bouffes-Parisiens, l'on caresse le rêve Américain et ses voies lactées constellées d'étoiles entre Broadway et l'âge d'or d'Hollywood, l'on participe aux triomphes d'Edith Piaf à New-York... Une carrière de 70 ans racontée en détail, voilà une bien précieuse source d'informations pour qui aime la chanson et ses petites histoires qui font la grande Histoire.



Aujourd'hui, il ne reste pas grand-chose de cette légende. Disparu en 1972, Maurice Chevalier n'est plus qu'un canotier et une poignée de chansons pour un public qui n'a plus vingt ans depuis longtemps... Celui qui fut le Français le plus connu dans le monde, exportant sur les 5 continents les chansons de Willemetz et Christiné, jouant face aux caméras de Ernst Lubitsch et Vincente Minelli, lançant Charles Trenet en popularisant Y'a d'la joie, inspirant Sammy Davis Jr et Sacha Distel, n'est désormais qu'un nom de place de son Ménilmontant natal. Les temps où des artistes du monde entier parodiaient Chevalier semblent antédiluviens. Créée en 1925 dans la Revue du Casino de Paris intitulée "Paris qui chante", la chanson Valentine de Willemetz et Christiné est l'une des rares rengaines du répertoire Chevalier capable de se fredonner de nos jours sans avoir besoin de fouiller trop loin dans sa mémoire. Extraite d'un show télé américain des années 50, la vidéo ci-dessous témoigne de ce que fut Maurice Chevalier de son vivant. Un homme copié, imité, et bien souvent largement égalé, voir dépassé. Et bien qu'il fut un piètre chanteur, mauvais danseur, doté d'un physique assez ordinaire, aucun artiste français n'a réitéré semblable carrière...!

* Ma route et mes chansons, 10 volumes (!) publiés chez Julliard, Paris